L’hiver arrive, le froid aussi, et comme souvent en cette période de vague glaçante, les premiers touchés sont les Sans Domicile Fixe (SDF). Nous souhaitions donc revenir sur une exposition particulièrement inventive datée de l’hiver dernier et malheureusement toujours d’actualité : Un sourire s’il vous-plaît.

Démarche humaniste

Conçue par Luigi Li et Little Shao, en partenariat avec la fondation Abbé Pierre, cette exposition présente des clichés de SDF avec des pancartes un peu spéciales. En effet, Nous pouvons lire des phrases pleines d’humour et de lucidité qui témoignent d’un recul certain, du type : « Abracadabra !!! Et merde je suis encore dans la rue… ». Vous avez compris, le parti pris de ces créations est d’utiliser l’humour pour alerter la population sur la souffrance et la détresse que vivent les SDF.

Nous remarquons également la volonté des deux artistes de capter ce mélange de détresse et d’humour à la hauteur des SDF, celle d’un trottoir ou d’une marche. Ainsi, ceux-ci ne sont jamais pris de haut, ce qui vient encore renforcer le caractère humaniste de ces créations.

Récupération médiatique

L’origine de cette exposition se trouve dans l’histoire, devenue fameuse depuis, d’un publicitaire qui, passant devant la pancarte d’un SDF aveugle, la retourne et écrit dessus : « Je ne verrai pas le printemps ». La légende veut que ses revenus aient alors diablement augmentés. En réalité, si vous allez trouver le SDF en question, vous verrez qu’il ne peut toujours pas se payer un duplex à Neuilly, contrairement au publicitaire.

Cette anecdote a fait le bonheur des journalistes et d’une certaine élite politico-financière qui s’en sont gargarisés, se félicitant du caractère humaniste de cette démarche, sans pour autant faire quoique ce soit pour régler un problème qui ne cesse de grossir. Cette histoire de publicitaire tient en effet plus d’une mode qui attire ponctuellement l’attention que d’une solution durable. Si vous mettez 300 SDF à la suite avec ce genre de pancarte, le citoyen lambda, rentrant chez lui après sa journée de boulot, fera plus attention à ces inscriptions au bout de la dixième. C’est la rareté, l’originalité qui attire.

C’est exactement ce qui est arrivé à la technique de la canne à pêche. Cette dernière consiste à attacher, grâce à un fil, un gobelet à l’extrémité d’un bout de bois pour faire la manche. Plutôt ingénieux, ce procédé a fleuri dans quelques rues parisiennes, notamment celle de la Gaité, avec un certain succès. Cependant, le temps et le nombre toujours plus grand de pratiquants ont rendu peu à peu cette technique invisible aux yeux des passants. Il en résulte qu’actuellement seuls quelques irréductibles continuent de l’utiliser avec bien moins d’efficacité qu’au début. Triste constat de voir que même les SDF doivent inventer régulièrement des modes pour parvenir à exister socialement. C’est pourquoi les journalistes et les politiques n’en parlent pas, préférant cacher cette part de la population qui fait tache à l’heure des bilans de fin de mandat.

Nous venons de le voir, cette exposition ne règle aucun problème, et là ne demeure pas son ambition. Cependant, si nous l’avons choisie, d’autant plus un an après sa naissance, c’est qu’elle permet de mettre en lumière un constat malheureusement toujours d’actualité, sans se départir d’un humour salutaire. En effet, cette création au caractère humaniste indéniable n’efface pas les chiffres qui montrent une hausse du nombre de personnes à la rue. Malgré son propos, cette exposition ne verse pas dans le misérabilisme grâce à la distillation de sourires sur des gueules abîmées, preuve là encore que l’humour peut être porteur d’un message à l’urgence dramatique permanente, qu’il convient de prolonger par des moyens politico-financiers à même d’aider à résorber le problème. C’est justement ce que démontre la façon dont cette exposition a été accueillie journalistiquement et politiquement. On en parle, histoire de démontrer que nous sommes humains et conscients de la détresse de ces destins, et puis rien. C’est un problème que les politiques prennent soin d’éviter et qui explique pourquoi ce problème est toujours d’actualité.

 

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